René Lévesque
Correspondant de guerre, animateur
de l'émission Point de mire à Radio-Canada et plus tard chroniqueur
au journal de Montréal (1970-1976), René Lévesque
(1922-1987) mène une brillante carrière de journaliste qui
l'amène peu à peu à s'engager directement dans la
vie politique québécoise.Élu député
en 1960, puis nommé ministre, il devient, notamment avec la nationalisation
de l'électricité, l'un des principaux artisans de la Révolution
tranquille. Après avoir quitté le Parti libéral en
1967, il fonde d'abord le mouvement
souveraineté-association,
et l'année suivante le Parti québécois. En 1976, il
devient premier ministre du Québec, poste qu'il occupe jusqu'à
sa démission en octobre.
Le chemin de l'avenir
(1968)
Nous croyons qu'il est possible d'éviter
ce cul-de-sac conjoint.
Il faut que nous ayons le courage tranquille
d'oser voir que le problème ne peut se dénouer ni
dans le maintien ni dans aucun aménagement
du statu quo. On ressent toujours une sorte d'effroi
à l'idée de quitter une demeure
qu'un très long séjour a quasiment "sacralisée". D'autant
plus que
cette vieille demeure de la "Confédération"
constitue l'un des derniers vestiges de ces sécurités
ancienne donc notre époque
achève de nous dépouiller. Il est donc normal que certains
s'y
accrochent avec une espèce
de force désespérée où il entre bien plus de
peur du changement que d'attachement raisonné.
Mais il est des points, et celui-ci est de
tous le plus important, où le courage et l'audace
tranquilles deviennent pour un peuple,
aux moments clés de son existence, la seule forme de
prudence convenable. S'il n'accepte
pas alors le risque calculé des grandes étapes, il peut
manquer sa
carrière à tout jamais, exactement comme l'homme qui a peur
de la vie.
Ce qui dicte clairement l'examen du carrefour
crucial devant lequel nous nous trouvons, c'est
qu'il faut se débarrasser
complètement d'un régime fédérale qui est complètement
dépassé.
Et recommencer à neuf.
Recommencer comment?
La réponse est non moins nettement
inscrite, à notre avis, dans les deux grands courants de notre
époque: celui de la liberté
des peuples et celui des groupements économiques et politiques librement
consentis.
Un Québec souverain
D'une part, il faut que nous osions saisir
pour nous l'entière liberté du Québec, son droit à
tout
le contenu essentiel de l'indépendance,
c'est-à-dire la pleine maîtrise de toutes et chacune de ses
principales décisions collectives.
Cela signifie que le Québec doit devenir
au plus tôt un État souverain.
Nous y trouverons enfin cette sécurité
de notre "être" collectif qui est vitale et qui, autrement, ne pourrais
que demeurer incertaine et boiteuse.
Il n'en tiendra plus qu'à nous d'y
établir sereinement, sans récrimination ni discrimination,
cette
priorité qu'en ce moment nous
cherchons avec fièvre mais à tatons pour notre langue et
notre culture.
Là seulement nous aurons enfin l'occasion
et l'obligation de déployer au maximum nos énergies
et nos talents pour résoudre,
sans excuse comme sans échappatoire, toutes les questions
importantes qui nous concernent,
que ce soit pas exemple la protection négociée de nos
agriculteurs, ou le respect
de nos employés et de nos ouvriers dans les entreprises, ou la
croissance équilibrée
de toutes nos régions, ou la forme et l'évolution des structures
politiques que nous aurons à nous donner.
Bref, il s'agit non seulement pour nous de
la seule solution logique à la présente impasse
canadienne, mais aussi de l'unique
but commun qui soit exaltant au point de nous rassambler
tous assez unis et assez forts pour
affronter tous les avenirs possibles. Ce projet suprême qu'est le
progrès continu d'une société qui prend en main la
direction de ses affaires.
L'autre majorité canadienne y trouvera
son compte elle aussi, puisqu'elle sera du même coup
délivrée des contraintes
que notre présence impose, libre de son côté de réaménager
à son gré
les institutions politiques et administratives
du Canada anglais, libre de se prouver à elle-même
si elle tient à maintenir et
à développer sur ce continent une société anglophone
distincte des États-Unis.
Et une nouvelle union canadienne
Et, si tel est le cas, il n'y a aucune raison
pour que les voisins que nous serons ne demeurent pas,
librement, des associés et des
partenaires dans une entreprise commune, celle qui répondrait à
l'autre grand courant
de notre époque:les nouveaux groupements économiques, unions
douanières, marchés communs, etc.
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